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Affaire des viols de Mazan : Gisèle Pélicot raconte à la barre comment son monde s’est effondré, face aux 51 accusés

« Mon monde s’écroule, pour moi, tout s’effondre » : calme et déterminée, Gisèle Pélicot a raconté jeudi 5 septembre, au procès des viols de Mazan, ce jour du 2 novembre 2020 où elle a tout découvert, face à son mari et aux cinquante autres hommes accusés de l’avoir violée pendant dix ans. A 71 ans, elle ne s’était jamais rendu compte que, depuis 2011, elle avait été droguée aux somnifères par son mari et abusée par des inconnus, qu’il recrutait sur Internet pour venir la violer. « Les policiers m’ont sauvé la vie, en investiguant l’ordinateur de monsieur P. », tel qu’elle qualifie désormais son époux, dont elle est en train de divorcer, rappelle la septuagénaire.
Puis, pendant près d’une heure et demie, elle a déroulé sa version de ce dossier, pour sa première prise de parole depuis le début d’un procès hors norme entamé lundi, à Avignon, devant la cour criminelle du département. Ce jour d’automne 2020, les policiers de Carpentras (Vaucluse) lui ont demandé de venir. Oui, elle est bien mariée à Dominique Pélicot, « un chic type », « un super mec », répond-elle à l’enquêteur qui la reçoit.
Puis celui-ci lui montre des photos. Sur l’image, « je suis inerte, dans mon lit, et on est en train de me violer. C’est des scènes de barbarie. Mon monde s’écroule, tout s’effondre, tout ce que j’ai construit en cinquante ans. Franchement, c’est des scènes d’horreur pour moi », explique-t-elle, devant la cour, composée de cinq magistrats professionnels.
« Ils me considèrent comme une poupée de chiffon », insiste la mère de famille, sous le regard de sa fille et de ses deux fils, à ses côtés depuis le début des audiences. Ce jour-là, elle refuse par contre de regarder les vidéos. Ce qu’elle n’acceptera de faire qu’en mai 2024, à l’approche du procès, sur les conseils de son avocat. « Elles sont plus atroces les unes que les autres », a-t-elle insisté jeudi. « Des scènes de barbarie, des viols, je me demande comment j’ai pu tenir », ajoute-t-elle, estimant avoir été « sacrifiée sur l’autel du vice ». « Le corps est chaud, pas froid, mais je suis morte sur mon lit », décrit-elle encore.
Le plus souvent, ces hommes ne portaient pas de préservatifs. « Par une chance assez extraordinaire, étant donné le nombre d’agresseurs, elle a échappé au VIH, à la syphilis, aux hépatites. Quel soulagement », a témoigné jeudi Anne Martinat Sainte-Beuve, experte médicale, soulignant que Mme Pélicot a quand même « contracté quatre maladies sexuellement transmissibles ».
Au total, près de quatre mille photos et vidéos ont été retrouvées sur les divers ordinateurs, clés USB ou disques durs de son mari. Les images des quelque deux cents viols qu’elle a subis en dix ans, d’abord en région parisienne, mais surtout à Mazan, cette commune du Vaucluse de six mille habitants où le couple avait déménagé en mars 2013.
« Et qu’on ne me parle pas de scènes de sexe, ce sont des scènes de viol, je n’ai jamais pratiqué le triolisme ni l’échangisme, je tiens à le dire », poursuit la victime, répondant indirectement aux questions posées mercredi au directeur d’enquête par les avocats de certains accusés, qui maintiennent avoir seulement participé au scénario d’un couple libertin. « Je n’ai jamais été complice » ni « fait semblant de dormir », répond ensuite la victime, interrogée par Roger Arata, le président de la cour.
De tous ces hommes qui ont abusé d’elle, elle n’en reconnaît qu’un seul, qui était venu au domicile du couple, à Mazan, pour discuter vélo avec son mari : « Je le rencontrais de temps en temps à la boulangerie, je disais bonjour, je n’imaginais pas qu’il était venu me violer. »
« J’ai un sentiment de dégoût », insiste-t-elle, en s’adressant aux accusés : « Ayez au moins une fois dans votre vie la responsabilité de vos faits », lance-t-elle, alors qu’elle parle depuis une heure déjà, s’interrompant seulement pour boire un verre d’eau.
Et elle aborde la question de la soumission chimique : ces anxiolytiques que lui faisait avaler son mari, à son insu, pour ensuite la livrer aux hommes qu’il avait appâtés. « Je parle pour toutes ces femmes qui sont droguées et qui ne le savent pas, je le fais au nom de toutes ces femmes qui ne le sauront peut-être jamais (…), pour que plus aucune femme n’ait à subir la soumission chimique », poursuit-elle, rappelant que c’est pour cela qu’elle a refusé lundi que ce procès se déroule à huis clos.
Dans le box des détenus, son mari reste tête baissée. Il a été interpellé en septembre 2020, après avoir filmé sous les jupes de trois femmes dans un centre commercial de Carpentras, ce qui allait permettre la découverte de toute cette affaire. Il avait été arrêté une première fois pour des faits similaires en région parisienne, en 2010. Mais il avait été condamné à une simple amende de 100 euros, et son épouse n’avait jamais été mise au courant. « Il y a eu non-assistance à personne en danger. J’ai perdu dix ans de ma vie, jamais je ne les rattraperai », a-t-elle accusé jeudi.
Les enfants de Gisèle Pélicot ont fait savoir à l’Agence France-Presse jeudi qu’ils souhaitaient désormais que leur nom de famille soit publié par la presse, ce que plusieurs médias dont Le Monde avaient décidé de ne pas faire jusqu’alors. « Pas de problème pour eux », ont insisté leurs avocats, Mes Stéphane Babonneau et Antoine Camus, « plus que jamais, ils sont fiers de leur mère ». Gisèle Pélicot, en instance de divorce depuis la révélation des faits à l’automne 2020, porte désormais son nom de jeune fille.
Le Monde avec AFP
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